Betrand Delanoë se déclare "libéral" et veut reprendre ce terme
à la droite.
«Ce sont les conservateurs qui l'ont dévoyé au service du
laisser-faire économique et de la perpétuation des rentes et des
privilèges dont ils bénéficient».
Evidemment, une telle déclaration fait beaucoup de bruit dans la
blogosphère de gauche. Des billets fusent de partout, il est même
obligatoire de se prononcer sur la question. D'où le présent billet.
"Libéral" est un mot qui ne peut pas être prononcé à la légère. Il a
été depuis trop longtemps utilisé comme synonyme du capitalisme
sauvage, démantelement de l'Etat Providence, et même comme synonyme
d'"ultra-libéral", pour que son usage aujourd'hui soit neutre.
Depuis l'arrivée de Sarkozy, le terme a cependant commencé à prendre
de l'eau. D'abord parce qu'on s'est rendu compte que Sarkozy n'était
pas un vrai libéral, mais plutôt un interventionniste, parfois
néoconservateur, parfois archéoconservateur, au service de
l'économie des grandes entreprises, surtout celles dirigées par de
potes. (Bigard à la tête de la SNCF, c'est pour quand, d'ailleurs?)
Les anciens madelinistes du Nouveau Centre ou de feu Démocratie
Libérale ne sont pas contents des dérives déficitaires, et l'on finit
par se dire qu'il y a peut-être un lien après tout entre les libertés
individuelles, qui n'ont jamais semblé compter beaucoup pour le Très
Grand Homme (TGH) qui préfère depuis longtemps le chiffres, et une
certaine conception du marché.
Car les spécialistes de la question nous rappellent depuis longtemps
déjà que "libéral" n'est pas nécessairement le synonyme de
"capitalisme sauvage". Le billet d'Antoine B. nous rappelle tout ça :
le libéralisme est, au sens propre et historique, l'héritage des
Lumières; nous ne supporterions pas de vivre dans un monde qui ne soit
pas "libéral".
Nous, gens de gauche, ne devons pas nous laisser prendre par
cette escroquerie intellectuelle, qui consiste à faire croire que
le libéralisme n'est que la liberté du patron. Le libéralisme
économique vu de cet angle n'est que la liberté du renard libre
dans le poulailler libre. L'égalité des termes de l'échange n'est
plus garantie, les droits par conséquent non plus. Ce n'est pas
un système "politiquement libéral", mais "économiquement
dictatorial".
Redonnons au beau, au joli mot de libéralisme (Tocqueville !
Montesquieu ! Benjamin Constant !) le sens qu'il ne devrait jamais
perdre, et ne le cédons pas à la droite. Ces gens-là sont incultes
et manient les mots et les noms (Jean Jaurès, Léon Blum, Guy
Môcquet... ) sans savoir ce qu'ils signifient.
Pour conclure :
Non, "libéral" n'est décidémment pas un gros mot.
Le problème, c'est que, malgré tout ça, si, "libéral" est un gros
mot. Je plaisante un peu, mais c'est important de faire une
distinction entre l'emploi "savant" du terme -- ou faut-il dire
désormais "sachant" ? -- et son usage politique.
Si la gauche est, bien plus que la droite, l'héritière des
Lumières, de l'esprit de libération de l'individu des différentes
formes d'asservissement, et si en théorie cet héritage devrait donner
à la gauche le droit de se réclamer du terme "libéral", la véritable
interrogation, aujourd'hui, lorsqu'un homme politique de gauche
annonce son intention de reprendre le terme à la droite, porte sur les
conséquences politiques de ce geste.
Pourquoi alors faut-il reprendre ce mot? Nicolas J. se demande
pourquoi les gaucho-blogistes s'émeuvent autant pour un mot : "Une
bataille des mots. Rien de plus [...]. Et ils [mes copains socialos]
sous-estiment à quel point les électeurs s'en foutent !" C'est la
question qu'il faudrait poser à Bertrand Delanoë : quel intérêt
politique ou communicationel y a-t-il à se battre pour que, dans
l'esprit des électeurs, libéralisme ne signifie plus dérégulation à
tout va et précarisation des travailleurs ?
Vouloir se réapproprier le terme indique qu'il y a un avantage
politique à être perçu comme "libéral", même si pour cela il faut
faire d'énormes efforts de pédagogie. Mais Bertrand Delanoë ne va pas
convaincre Alain Madelin et les siens, et il le sait bien. Se dire
"libéral de gauche", ou "libéral humaniste", c'est tenter d'occuper un
terrain étonnamment près du centre. Etrange de la part de celui qui a
écarté toute alliance parisienne avec le MouDem. Comme le disait hier
Dagrouik : "Plutôt que de travailler avec le MoDEM devenons le MoDEM
!"
Et c'est là, finalement, que cette histoire commence à m'inquiéter. Je
ne suis pas pour un socialisme idéal ou idéaliste, mais pour une
pratique efficace : il faut gagner des élections. Tout le reste est
secondaire. Mais pour le faire, il ne suffit pas de devenir son rival.
Devant la victoire de Sarkozy, Manuel Valls semble s'être dit :
puisque Sarkozy a gagné avec ce programme, reprenons son
programme. On pourrait penser que c'est ça, être politiquement
efficace : donner aux gens ce qu'ils veulent. Le problème, c'est que
pour réussir, il faut d'abord exister, et quand on cesse de défendre
les valeurs de son camp, on cesse petit à petit à exister, l'identité
s'estompe. C'est le danger que courent Bertrand Delanoë, et tous ceux
qui pensent marquer des points en prenant des parts de marché
idéologique qui devraient leur être hostiles. Le PS ne gagnera pas
parce qu'il aura choisi la position juste comme il faut, pas trop à
gauche, un petit peu à droite. Un adversaire comme Sarkozy aura vite
fait de montrer qu'ils ne sont pas vraiment à droite, en laissant à
l'aile gauche de montrer qu'ils ne sont pas vraiment à gauche non
plus, et la démonstration est faite : ils ne sont rien, ne savent pas
ce qu'ils veulent être. Je ne l'ai pas dit depuis un moment : la
politique n'est plus une guerre de position mais une guerre de
mouvement. Il faut convaincre, pas juste se conformer à ce que l'on
suppose que les gens pensent déjà. Et je commence à m'égarer...
Le problème avec le libéralisme, au sens courant et journalistique,
c'est que la liberté de l'individu se heurte rapidement à celle des
entités plus puissantes, notamment les entreprises, les grandes
sociétés, et le pouvoir économique en général. La liberté du patron et
de la rente. Les récents événements économiques, les subprimes et
le rachat de Bear Stearns, ont montré la nécessité d'une régulation
collective. Même dans le meilleur des mondes, le libéralisme n'est
véritablement libéral (au sens historique et rigoureux du terme), que
lorsqu'un état ou une forme collective quelconque est prêt à
intervenir.
Et c'est là, je crois, le mot essentiel dans ce débat, le mot qui
manque et qui pourtant définit la gauche : le collectif. En disséquant
l'usage courant de "libéral" et de "libéralisme", on retrouve surtout
cette hostilité aux interventions collectives. Et là, enfin, ma
question sur la réappropriation de ce terme : est-ce vraiment cette
hostilité au collectif que la gauche doit chercher à reprendre à son
compte? S'il y a un intérêt à reprendre libéral, c'est que le terme
représente quelque chose de désirable. Est-ce l'hostilité au collectif
qui est si désirable?