30 novembre 2007

Billet 200

C'est mon 200ème billet. Un moment pour réfléchir. Deux cents billets, ça me paraît beaucoup, soudain. Presque un billet pour dix chez Juan sur la même période. Vu comme ça, 200, ce n'est pas mal du tout.

J'ai écrit mon premier billet le 6 mai à trois heures du matin, dix-sept heures avant la défaite de Ségolène Royal, dans une insomnie provoquée sans doute par le sentiment d'un couperet qui allait tomber. Un début dans l'urgence, pour marquer cette transition, peut-être pour garder un pied dans le monde d'avant, qui n'était pourtant que celui de Chirac (c'est dire).

Depuis ce premier billet, j'ai beaucoup appris. A vrai dire, j'ai toujours l'impression de bloguer pour apprendre à écrire, pour apprendre à penser, pour apprendre à intervenir. (Inévitablement, on finit par apprendre aussi un peu le "blogage".)

Tenir un blog demande de l'énergie. Il faut, justement, tenir. Parfois, un vent de découragement s'abat sur ce petit coin de la blogosphère : Juan s'interroge, Kamizole a un coup de blues, Flo Py lit Stefan Zweig. A quoi ça sert? Prêche-t-on dans le désert, ou qu'à des convertis?

Même si ce n'est pas toujours facile de trouver, chaque jour ou tous les deux jours, le temps et les raisons pour lancer un billet de plus, je reste persuadé que, collectivement, tout cet effort sert bien à quelque chose : créer une parole qui ne soit ni celle des médias, ni celle des partis, fussent-elles de gauche, une parole ou plutôt plusieurs, se renforçant par leurs désaccords, pour, le moment venu, proposer autre chose que le conformisme politique que l'on nous sert.

Et, en attendant, il y a le plaisir de trouver par le blog des personnes. Donc, merci à tout le monde, confrères et consoeurs blogueurs, commentateurs et lecteurs silencieux. On fera le point après les prochains deux cents billets.

o16o

28 novembre 2007

Valls, Gorce : réfonder pour ne rien dire

Sur les mouvements sociaux, le PS a été inaudible, invisible. On a du mal a ne pas être d'accord avec Julien Toledano, contre la position molle de François Hollande et donc du PS. En disant que le PS fut "inaudible", je ne fais que reprendre Manu Valls, qui disait l'autre jour dans Libé :

On vient encore de le constater face au dossier des régimes spéciaux de retraite sur lesquels nous sommes inaudibles. Le PS crève de ses fausses synthèses au nom de l'unité.

Inaudibles, tiens! Et Valls, l'a-t-on entendu, sur ces régimes spéciaux? Voici ce qu'il avait à en dire, ce grand réfondateur:

Le député PS Manuel Valls a dit dimanche 18 novembre être favorable à l'alignement des régimes spéciaux de retraite sur ceux de la fonction publique. Alors qu'il était interrogé par France 2, le député de l'Essonne a déclaré: "oui, il faut harmoniser les régimes spéciaux sur les 40 années de cotisation de la fonction publique". Il a également affirmé que le PS "aurait dû être plus clair" sur ce sujet pendant la campagne présidentielles.

Quel courage, qu'est-ce qu'il est audible! Tout en reprenant la ligne du parti, et donc celle de Hollande, il trouve le moyen d'en faire une critique du PS, plutôt qu'avec, par exemple, du Président de la R. Non, le plus grave, c'est que le PS aurait dû être "plus clair" là-dessus.

Ainsi, les appels à la réfondation sonnent de plus en plus creux. Que Hollande ait une grande part de responsabilité dans la situation actuelle, c'est une évidence. Encore que... comme une famille classiquement dysfonctionnelle, c'est peut-être moins la faute de celui qui a maintenu ce que Valls appelle les "fausses synthèses", que celle, collective, de tous ceux qui étaient plus confortable dans un statu quo consensuel mais pleins de non-dits, que dans le danger d'un réel changement de cap. L'ironie de l'histoire, c'est que celle qui a osé brisé le consensus, c'était quand même Ségolène Royal, qui avait des relations familiales d'une autre sorte avec le Premier Secretaire.

Mais revenons à Valls, et aussi à Gorce, qui dressait, il n'y a que quelques jours, "l'acte de décès du socialisme traditionnel":

"De l'autre, a-t-il poursuivi, les rénovateurs qui pensent au contraire que nous sommes entrés dans un monde radicalement nouveau et que la fidélité à nos valeurs doit s'accompagner d'une révision complète et sans tabou de notre projet politique."

[...]

Il a dénoncé "l'attentisme" qui «trouve toujours de nouveaux prétextes pour ne rien changer" et ce qu'il a appelé "l'arrangisme".

Cette attitude, selon lui, "se donne aujourd'hui libre cours" dans le parti. Elle "consiste à opérer les recompositions, les alliances, les futures synthèses, sans aucun rapport avec les questions de fond, sans souci de l'orientation politique commune, en continuant à brouiller les repères et les enjeux".

Ce sont les mêmes thèmes que Valls : mauvaise "synthèse" hollandaise, modernisation dont on ignore le contenu véritable. Quand je parlais de la stratégie Valls, en septembre, il était clair que la modernisation à laquelle il faisait sans cesse appel, c'était en réalité le sarkozysme, tout simplement. Cette analyse tient encore, à mon avis. Mais maintenant que les choses se précisent davantage, on s'aperçoit que le discours de ces "réfondateurs" est tout simplement une manière de profiter de la faiblesse du PS pour s'imposer comme une alternative, sans rien proposer.

Combien de fois faut-il que Dagrouik nous rappelle que le PS n'a pas besoin de se réfonder pour reconnaître le marché ? La "réfondation", telle qu'elle se présente, est simplement une manière de prendre le pouvoir, et en quelque sorte de prolonger le jeu des personnes qui a si bien réussi jusqu'à présent.

24 novembre 2007

Cumul et la concentration du pouvoir

Sur le blog Changer la République, dans un billet repris par Betapolitique, on lit ceci:

Dans sa lettre de mission au Premier Ministre, relative à la réforme des institutions, le Président de la République déclare « Je suis favorable à la proposition du comité consistant à interdire le cumul d’une fonction ministérielle avec tout mandat électif, à tout le moins avec tout mandat exécutif. » En clair, Monsieur Sarkosy estime comme le comité Balladur, que le travail de Ministre est un travail à temps plein et que l’on ne saurait tolérer un cumul avec un mandat dans un excécutif local.

Le billet parle surtout du fait que les ministres de ce même Nicolas Sarkozy ne semblent pas avoir compris le message, car ils préparent des campagnes municipales:

Il s’agit ainsi de Rachida Dati (Justice) dans le VIIe arrondissement de Paris, Nathalie Kosciusko-Morizet qui sera candidate à la mairie de Longjumeau, Jean-Marie Bockel à Mulhouse, Eric Wœrth à Chantilly (Oise) ou qui réfléchissent encore comme Xavier Darcos à Périgueux (Dordogne), Brice Hortefeux à Clermont-Ferrand ou André Santini à Issy-les-Moulineaux [...]

On ne peut pas dire que cette situation soit surprenant. Le gouvernement Fillon 2.0 était fondé sur le principe du cumul, les députations de ses ministres étant alors perçues comme des gages de "légitimité démocratique", l'une des obsessions du régime...

L'argument contre le cumul que l'on évoque le plus souvent, c'est celui du temps requis pour le poste :

Ainsi soit les ministres, n’ont pas suivi les travaux du Comité Balladur sur les institutions, n’ont pas lu la lettre de Sarkozy au Premier Ministre parce qu’ils ont trop de travail, soit ce beau monde s’en fiche et fait le pari que cette réforme sera retoquée par les partis politiques.

Et, dans un autre billet du même blog on apprend que même selon Opinionway, la majorité des français souhaite un maire à temps plein.

C'est logique. C'est le bon sens. On ne peut pas tout faire en même temps. Pourtant, ces histoires d'empoi de temps ne sont pas ce qui m'inquiète avec le cumul.

Mais ce n'est pas le vrai problème. Le vrai problème, c'est la concentration du pouvoir et l'absence de distinction entre les différents niveaux démocratique. Nous avons vu la Mairie de Paris en train de payer des salaires en Corrèze. Ce n'était pas un problème de manque de temps, à proprement parler, mais le symptôme d'une situation où la même personne a des intérêts politiques divergents, voire conflictuels.

L'effet néfaste du cumul, c'est la concentration du pouvoir, la création d'un caste de "privilégiés" politiques.

23 novembre 2007

Sarkozy et la préférence nationale

D'abord, cet excellent entretien au Contre-journal, avec Gérard Noiriel, l'un des historiens de l'immigration qui avait démissionné de la Cité de l'Histoire de l'Immigration au moment de l'annonce de la création d'un Ministère des Expulsions, de l'Identité Raciale, et des Bronzés qui Restent Chez Eux.

Au moment où l'amendement Mariani fut proposé, je me demandais si

cette histoire de tests ADN n'était qu'un leurre, ou un paratonnerre, qui a fait que, finalement, la bataille sur la législation Hortefeux (l'ignoble, abominable Hortefeux) a concerné essentiellement cet amendement. Le coeur même de la loi n'a pas attiré l'attention qu'elle mérite.

Et je m'inquiétais :

avec des tests de langue et de « citoyenneté » [pour les candidats à l'immigration], il devient évident que la France recherche des immigrés qui ne sont pas différents de nous.

Gérard Noiriel semble penser la même chose:

Une des mesures qui nous paraissait, à nos yeux d'historiens de l'immigration, comme l'une des plus scandaleuses: à savoir contraindre les gens à un examen de langue avant de s'installer en France est passée comme une lettre à la poste. On a mis l'accent sur les choses extrêmes [l'ADN et les statistiques ethniques] qui ont suscité à juste titre la protestation.

Pour conclure :

L'anticipation des réactions probables des opposants est aujourd'hui intégrée par les stratégies politiques.

Autrement dit, les tests ADN n'étaient pas seulement un symbole envoyé en direction des électeurs FN (on comprendrait si j'écrivais "FN-NS"?), mais un chiffon rouge agité devant nos yeux de gauchistes bien-pensants, afin de nous distraire des autres mesures qui auront un impact bien plus réel, finalement.

Mais pour revenir sur le plan symbolique, l'obligation de parler déjà français, avant même d'arriver en France, en plus de l'obstacle pratique que cela imposera dans bien des cas, est aussi une manière de signifier que les futurs immigrants doivent déjà être français. En somme, c'est une nouvelle façon de refuser l'autre. Comme le raciste qui prétend avoir "plein d'amis" noirs ou arabes, cette mesure est la caution de celui qui dit (ou pense, mais ne le dit pas) : "d'accord pour des immigrés, à condition qu'ils se comportent comme nous".

A cela, il faut ajouter le fait que "l'immigration économique", grande promesse sarkozyenne de sa sacrosancte campagne électorale, est devenue une nouvelle expression, vaguement camouflée, du vieux thème frontiste de la "préférence nationale", qui, même dans la bouche de Le Pen, paraissait à un public étonnement large, frappé du coin du bon sens. Sauf que quand Sarkozy dit "immigration économique", c'est du propre.

19 novembre 2007

Sarkozy est nul, ou : le gâchis

Soudain, le pouvoir sort le chéquier, 90 millions par an seraient sur la table. Bercy est presque d'accord. (Attention, le lien va vers Le Monde, c'est un peu comme citer le Figaro dans le temps...) C'est la méthode Sarkozy pour briser les grèves : comme avec les pêcheurs, il leur donne ce qu'ils veulent, ou presque. Tant mieux pour les grévistes, grâce à eux le syndicalisme est bien vivant. Leurs journées de travail perdues, ainsi que les difficultés imposées à nous autres usagers n'auront pas été en vain, car même si cette proposition est jugée insuffisante, elle montre que les syndicats ont renforcé leur position en faisant la grève. Les purs et durs de l'UMP devront trouver des parades pour ne pas reconnaître que leur Très Grand Homme (TGH) de la Rupture Intégrale est à nouveau en train de se coucher.

Il faudrait maintenant que la communication à gauche profite de la situation pour rendre Sarkozy et son gouvernement responsables des toutes ces "galères". En effet, pourquoi avoir attendu aussi longtemps? Pourquoi avoir passé une semaine, avant le début de la grève, à faire les durs à cuire, à annoncer qu'ils ne bougeraient d'un pouce, si c'est pour arrêter maintenant?

Ont-ils encore un super plan ? C'est ce que pense Chérèque:

Le syndicaliste se demande également "depuis le début si on n'est pas dans une coproduction". Selon lui, il y a eu "une coproduction pour déclencher cette grève", avec "un gouvernement qui nous avait annoncé (...) dès le 29 octobre : il y aura une deuxième grève, mais elle ne sera pas longue". "Et maintenant, le gouvernement, avec les syndicats les plus durs de la SNCF, organise la jonction avec la journée d'action des fonctionnaires", dénonce M. Chérèque.

Selon lui, les syndicats les plus radicaux veulent "faire un mouvement politique", et "le gouvernement est intéressé par ce mouvement politique", car "il est plus facile pour le gouvernement d'avoir ce mouvement globalisant et politique que de répondre demain concrètement aux problèmes des fonctionnaires et de leur pouvoir d'achat".

La semaine dernière, j'aurais été tenté de donner un peu de crédit à cette hypothèse. Mais aujourd'hui j'ai une autre explication.

La voici.

En tant que stratège politique, Sarkozy est nul. Mais nul.

18 novembre 2007

Le mythe du consensus sarkozyën

Lisez la chronique hébdomadaire de Sarkofrance sur les mythes sarkozyëns qui se cassent petit à petit la figure. Il y en a deux qui semblent particulièrement importants pour la suite des événements. D'abord, le mythe de l'efficacité politique de Sarkozy : censé être un animal politique redoutable, il est à la peine quand il faut intégrer son gouvernement dans sa communication. Surtout, on se rend compte que ses pouvoirs de communication sont formidables quand c'est son image à lui, Nicolas Sarkozy, le Très Grand Homme (TGH), qui est en jeu. Dès qu'il s'agit des autres, ou même du bien de la France en général, c'est le cafouillage. Ensuite, ce que Juan appelle "Le mythe de la France rassemblée" : l'idée que Sarkozy incarne une sorte de modernité française inéluctable, que toutes ses "réformes" sont inévitables, incontournables, et que le "peuple" (qui s'était "levé" pour élire notre petit grand bonhomme, vous vous souvenez?) est derrière lui, et donc contre les "nantis" bénéficiaires des régimes spéciaux, mais aussi contre les immigrés, contre plein de gens, en somme.

Le conflit sur les régimes spéciaux sera, de toute façon, l'un des moments charnières de ce mandat. Nous sommes riches en moments charnières ces temps-ci, car je reste persuadé que le divorce présidentiel en était un autre. Mais passons, on pourra y revenir. Cette grève, dont la défaite devait être le symbole des victoires sarkozystes futures (lisez Planète-UMP (merci Dagrouik) si vous ne me croyez pas), n'a fait qu'éroder un peu plus la popularité du Président, et quelle qu'en soit l'issue, ne signifierait pas la fin du pouvoir syndical. Loin de là.

La notion d'un grand consensus autour de Sarkozy continue à être l'un des socles de sa crédibilité. Depuis quelques mois, nous avons eu de nombreuses occasions de critiquer la complaisance des médias, aussi bien ceux, privés, dont les propriétaires sont des proches de Sarkozy, ou ceux de l'Etat qui, à quelques vaillantes exceptions près, tendent à relayer les analyses UMP plutôt que de s'essayer à l'esprit critique. Mais sans aller jusqu'à dénoncer un complot, ou une manipulation directe de la presse par l'Elysée (sans, bien entendu, l'exclure), la presse semble imbibée de ce consensus, comme s'il était impossible, impensable, ridicule de ne pas participer à la grande admiration générale de Sarkozy, et d'estimer que tout le monde, hormis quelques hulerberlus, partage ce sentiment. Sarkozy, dès son éléction, est devenu l'incarnation d'un esprit du temps.

Les grèves des cheminots et des étudiants ont ouvert quelques brèches (voir ce papier chez Libé et même celui-ci au Monde) : les deux groupes commencent à considérer les médias comme étant dans le camp de leur ennemi. L'éditorialiste anonyme du Monde réplique, avec la mauvaise foi qui est devenue sa signature :

[...] le président de la République qui vient d'être élu et la majorité parlementaire qui le soutient ont présenté aux électeurs des engagements prévoyant explicitement cette réforme. Non seulement elle n'a pas été occultée pendant la campagne, mais elle a au contraire été mise en avant comme l'une des mesures symboliques du programme économique et social proposé par le candidat et par son parti. Les citoyens, qui n'ont pas changé d'avis en six mois, approuvent donc, dans leur majorité, l'alignement de la durée de cotisation des agents des entreprises publiques sur celle des fonctionnaires et des salariés du privé.

En un mot, c'est la ligne du Parti : avec toute sa légitimité démocratique, les fameux 53%, Sarkozy peut faire ce qu'il veut. C'est bien la Ve République, non? Tu votes, et si tu perds, alors tu te la ferme pendant cinq ans! Ceux qui sortent de cette vision des choses, eh bien, les journalistes ont du mal à en parler. C'est normal, paraît-il.

En revanche, donner à tous ceux qui sont concernés des possibilités égales d'exposer leurs arguments est délicat. C'est le cas type d'une situation où les journalistes ne font que des mécontents.

(Il pousse le bouchon jusqu'à cette perle:

Les usagers, qui subissent la grève, ont le sentiment que ce n'est ni assez dit ni assez montré.

Pas assez dit! Pas assez montré! Il débarque d'où, ce grand anonyme? Les témoignages de "galère" sont devenus l'occupation principale de l'ensemble des médias.)

Etonnamment, le grand quotidien véspéral en est au point où il doit défendre, explicitement, le parti pris des médias. Ce ne peut être qu'un signe encourageant.

Nous ne sommes pas près d'être débarrassés du mythe du grand consensus derrière Sarkozy. Il n'est pas sûr, cependant, qu'il reste intact si longtemps.

16 novembre 2007

Le sarkozysme s'embourbe

L'autre jour, avant le début de la grève, je disais :

Finalement, arriver aux mêmes "réformes" sans une "putain grosse grève", comme dirait CSP, ça ne les [Sarkozy et la droite] intéresse pas. Car il faut, à cette droite, pour des raisons obscures mais liées à des traumatismes dans la petite enfance, écraser son adversaire.

Il fallait, à Sarkozy, à Fillon, à Xavier B., réussier à mater une grève pour effacer la honte de 1995, celle du CPE, et toutes les autres. Tout était dans le symbolisme. Une grève brisée aurait permis de signifier le triomphe du sarkozysme. Cette victoire hautement symbolique aurait eu pour effet de rendre inéluctables toutes les réformes suivantes, comme le dit Annick Coupé chez Politis:

Si la remise en cause de ces régimes se fait au pas de charge, ce n’est pas pour garantir l’équilibre financier du système de retraite, c’est, avant tout, pour préparer la suite. Aller vite pour casser les régimes spéciaux, démobiliser les salariés de ces secteurs qui ont encore des capacités importantes de mobilisation, c’est préparer le rendez-vous de 2008 : allonger à nouveau la durée de cotisations de tous les salariés (privé et public) à 41 ou 42 annuités, voire plus. Il s’agit bien de travailler plus (le nombre d’annuités) pour gagner moins (baisse du niveau des pensions).

Une grève brisée dans l'opinion, c'était le démarrage du rouleau compresseur "réformiste".

La stratégie consistait à jouer sur la confusion entre un plan symbolique et un plan très pratique. Côté symbolique, les syndicats des cheminots ont un rôle très particulier en France, où le taux de syndicalisme est assez bas, mais où le pouvoir politique des syndicats est très élévé. D'une certaine façon, et tout le monde le sait, quand ces catégories de fonctionnaires font la grève, ils le font un peu pour tout le monde, même pour ces pauvres usagers qui servent de chair à reportage. (Il y en a quand même marre d'entendre toujours pareil, mais combien de fois : "eh, moi, j'sais pas, s'il fait beau je vais marcher jusqu'au boulot, ça fait 4 km...") Côté pratique, il y a les emmerdements très réels provoqués par les grèves, et il y a toute la complexité des retraites, que la plupart des gens ne comprennent pas ou peu. Le rôle symbolique de la grève des cheminots ne peut pas être dit (ça ne doit pas être politique), et pourtant il est d'une très grande importance pour toutes les parties concernées (je ne parle pas du PS, là, évidemment). Le seul débat possible est celui qui concerne les détails : "décote" contre "je vais me lever à 3 heures du mat pour aller au boulot". Pas facile, dans ces conditions, de dire que les cheminots défendaient les intérêts de tous, alors qu'il est si facile de répliquer qu'ils ne défendent que leurs 37 annuités. Qu'en somme, c'est des feignants. Dommage qu'on ne peut pas leur appliquer des tests ADN quelconques, juste pour leur montrer.

Qu'est-ce qui s'est passé, alors? J'ai l'impression qu'aujourd'hui, cette grève ne pourra plus être brisée, au sens où l'espéraient les sarkozystes et les autres frustrés de la droite. Juan disait, après l'annonce que Sarkozy acceptait des négociations tripartes avec la CGT :

Sarkozy s'impatiente. La grève, sans être populaire, n'est pas franchement impopulaire non plus

Même si elle s'arrête demain, tout est chiraquisé, tout est redevenu compliqué. Il n'y aura pas de victoire franche capable de symboliser la défaite définitive du syndicalisme français. Quelle que soit l'issue réelle de ce conflit, et même si Sarkozy finit par être victorieux d'une certaine façon (ce qui n'est plus évident), ce sera une victoire embourbée qui ouvrira la porte à d'autres embourbements.

Alors, quoi : je souhaiterais l'embourbement de la "réforme" simplement pour nuire au pouvoir politique du président? En un mot, oui. Car même si je pense, mais en réalité c'est un autre sujet, qu'il y a des modifications à faire dans le modèle social français, je ne veux pas que ce soit Sarkozy, Fillon et Xavier B. qui les fassent.

(Update: je donne à ce billet mon premier flag "ducon"!)

14 novembre 2007

Déficit de communication

En commençant leur grève reconductible hier soir, les syndicats des cheminots sont-ils tombés dans un piège? Juan se pose la question depuis plusieurs jours. Effectivement, le durcissement du gouvernement la semaine dernière, l'impression partagée par tous les syndicats concernés que le pouvoir "cherchait la grève", tout cela a des allures de piège, de traquenard politique. En somme, plutôt que de trouver des cheminots-traîtres pour remplacer les cheminots, comme l'aurait fait Reagan par exemple, Sarkozy entendrait anéantir la crédibilité politique des syndicats en les isolant dans l'opinion.

Le terrain a été bien préparé, et le coup de "génie" était de focaliser l'attention sur le caractère spécial des régimes spéciaux et dénonçant une situation "indigne", contraire aux principes Républicains d'égalité et/ou d'équité qui sont si chers à ce Très Grand Homme (TGH). J'ai bien le soupçon que ce sera plus ou moins la dernière fois que le TGH fera ainsi appel à l'égalité économique. Ce qui m'amène à un argument simple à proposer dans les débats informels :

Si les systèmes de cotisation et de retraite doivent être pareil pour tout le monde, ne faudrait-il pas uniformiser aussi les salaires entre le public et le privé? Les écarts actuels ne sont-ils pas tout autant indignes.

Ce n'est pas nouveau comme argument, bien sûr, mais ce qui est navrant c'est qu'il est, aujourd'hui, à peu près impossible d'entendre dans nos chers médias quelque chose de ce genre.

Donc, s'il y a un piège, son seul mécanisme (pour l'instant en tout cas), c'est la communication politique. Et c'est là où l'on comprend l'énorme désavantage des syndicats. Non seulement Sarkozy continue à bénéficier d'un très large soutien dans les médias, mais lui et ses comparses sont quand même très doués pour expliquer au public leur position. L'arsenal médiatique des syndicats est pire que limité. Et le timide PS (genre Dray) ne va pas leur prêter main forte.

Cela dit, tout est très loin d'être joué : la popularité de Sarkozy est en baisse, les anti-sarkozysmes primaires et autres montent, la grève est très suivie, ce qui indique que, du moins pour une certaine catégorie de la population, le message est bien arrivé. De plus, il n'est pas impossible que l'attention médiatique donne aux syndicats la possibilité, justement, de s'exprimer et peut-être de convaincre.

12 novembre 2007

Figarouf

Ce matin, on lisait sur le site du Figaro un article intitulé : SNCF : les syndicats divisés face au conflit. Bon. Dedans, on apprend que la grève du 14 novembre sera beaucoup moins embêtante pour les voyageurs du fait que le syndicat des conducteurs autonomes, le FGAAC, ne participera pas au mouvement social. Ainsi, on apprend que "l’absence de la Fgaac sème la zizanie parmi les syndicats".

«L’absence de la Fgaac affaiblit sérieusement le mouvement , explique un membre de la direction de la SNCF. La négociation qu’ils ont entreprise avec l’entreprise trouble le jeu et révèle une division syndicale.» L’exécutif mise sur la fermeté. [...] D’après nos informations, la direction table sur un train sur trois. «Les 30 % de conducteurs Fgaac nous permettent d’espérer un tiers du trafic», révèle ainsi un de ses membres. (C'est moi qui souligne, o16o.)

Vous avez bien lu. Un train sur trois. Et dans certaines régions, c'est même mieux:

Les usagers de Lille et Amiens, où le syndicat représente plus de 40% des conducteurs, devraient être bien lotis. «Nous sommes la première organisation syndicale dans notre région, indique un délégué Fgaac du Nord-Pas-de-Calais. Si nos militants nous suivent dans nos convictions, nous aurons un train sur deux le 14 novembre.»

Et selon l'heure de la journée, c'est encore mieux:

Lorsque l'organisation [FGAAC] a indiqué le 18 octobre au soir qu'elle se retirait de la grève, la SNCF a dû revoir précipitamment son plan de transport du lendemain et passer d'une prévision d'un train sur quatre à un train sur trois le matin et deux trains sur trois en fin de journée. (C'est moi qui souligne, o16o.)

Ce matin, cela me paraissait curieux, tout de même, qu'il suffit d'avoir les conducteurs pour faire marcher les trains. Mais bon. Je bois mon café et je m'en vais.

De retour, et de retour du le site du Fig, imaginez mon étonnement quand je lis ceci en titre : "Un métro sur dix, un TGV sur huit". Là où l'article de ce matin promettait une grève light (ça commençait par "contrairement au 18 octobre..."), on apprend soudain que mercredi la prise en ôtage des usagers sera même pire que le 18 : "La grève du 14 s'annonce encore pire que celle du mois dernier."

Les prévisions de la SNCF ne sont pas plus encourageantes. 90 TGV seulement circuleront mercredi, contre 700 en période normale. L'Eurostar roulera normalement, de même que le Thalys, ce dernier pouvant cependant être retardé jusqu'à 30 minutes. Le trafic TER sera lui «très perturbé dans toutes les régions».

Encore plus étonnant, l'article du soir n'explique en rien pourquoi les informations du matin étaient mauvaises.

Je déteste être mauvais esprit, mauvaise langue, mauvais joueur, mais, tout de même, notre bon vieux Fig ne nous aurait pas servi de la bonne vieille désinformation anti-syndicale ce matin?

11 novembre 2007

La bonne vieille droite

Quelqu'un, à l'Elysée bien sûr, a dû envoyer un couriel, ou même une touite, assez clair au gouvernement, car toute la semaine, tandis que le Président faisait des faux cadeaux aux pêcheurs tout en se faisant insulter et en profitant pour insulter les bretons à nouveau, Fillon et son gouvernement ne parlent que de leur "fermeté".

«Notre fermeté», lance le Premier ministre, «ce n'est pas une posture, c'est une exigence de justice et d'équité», lance-t-il en défense d'un «projet raisonnable». (Libé)

Xavier Bertrand dit la même chose:

«Chacun doit être conscient que le mouvement peut durer, même si j'ai demandé aux entreprises des moyens de transport de substitution et un effort sans précédent d'information», ajoute-t-il. Il rappelle qu’«il est impossible de rester à trente-sept ans et demi de cotisation tant pour des raisons de justice que pour l’équilibre financier des régimes spéciaux.» (Libé)

Alors, du bluff? Certes, mais il y plus encore. Juan parle de "relents de thatcherisme dans l'attitude de l'équipe Sarkozy face aux grèves", et l'on sent que pour la droite c'est effectivement le Grand Soir, celui où ils vont enfin "nous" débarasser des syndicats, les briser comme Thatcher et Reagan. Les paroles de Xavier B. sont révélatrices : il demande "des moyens de transport de substitution", autrement dit ils vont essayer de contourner les monopoles de la SNCF, la RATP, les bus, etc.

D'autres ont montré comment ce qu'ils cherchent à obtenir ainsi n'est pas si incroyable, en termes de comptabilité. Mais c'est symbolique. On voit le retour de cette bonne vieille droite qui veut enfin prendre sa revanche. Les cafouillages de Villepin avec son CPE, l'absence totale de concertation, étaient dûs en large partie au fait qu'il pensait pouvoir devenir le héros de la droite, au dépens de NS, s'il pouvait imposer sa mesure. Maintenant, c'est le tour de Sarkozy, le Très Grand Homme (TGH), de lui montrer, de montrer à toute la droite, de quoi il est capable. Finalement, arriver aux mêmes "réformes" sans une "putain grosse grève", comme dirait CSP, ça ne les intéresse pas. Car il faut, à cette droite, pour des raisons obscures mais liées à des traumatismes dans la petite enfance, écraser son adversaire.

Bon courage Xavier, François et Nicolas.

9 novembre 2007

Se battre avec une image

Dans son commentaire à mon précédent billet, où je comparais Sarkozy à ces pères que l'on voit au supermarché, qui engueulent leurs enfants juste avant de céder à leurs demandes de bonbons, Juan posait une question existentielle:

J'essaie d'éviter de QUALIFIER le bonhomme (ie Sarkozy). Seule l'action parle, compte et fait mal. Non ?

Tout d'abord, on voit là ce qui doit donner à Juan l'énergie nécessaire pour faire l'énorme travail de veille et de commentaire qu'est Sarkofrance. Il dit qu'il a un travail, une femme et des enfants ; on se demande comment il arrive à publier autant d'informations. L'idée est très clairement de fournir, contre les manipulations médiatiques de Sarkozy, des faits, des faits et encore des faits afin que, contre l'illusion, il nous reste un peu, ou beaucoup, de vérité.

Je ne remets absolumment pas en cause cette approche, car il est nécessaire, dans le combat contre les illusions, de fonder son action dans la vérité. Je me souviens d'un essai de Vaclav Havel, qui parlait de ses années d'opposition au régime communiste Tchèque. Pour lui, la meilleure forme de résistance était de simple dire la vérité. C'était ce contre quoi le régime pouvait le moins bien se défendre. Quand Noël Mamère disait, à l'Assemblée, des mots durs mais justes contre la loi Hortefeux et l'amendement Mariani, il suivait la même ligne. La vérité est souvent le discours le plus blessant.

A ces considérations s'ajoute un autre ensemble de questions tactiques. Lorsque nous parlons de la personnalité de Sarkozy, ou de son divorce, de sa montre, de ses footings, ou des différents aspects hyper- du personnage, ne sommes-nous pas justement en train de solidifier l'image de l'homme, en contribuant, même avec un peu de mauvaise presse, à confirmer son statut de Grand Homme (Très Grand), larger than life? Ne faudrait-il pas se limiter aux faits, à du concret, en opposant la vérité et la raison aux mensonges et aux illusions médiatiques?

Voici pourquoi je ne suis pas tout à fait d'accord, malgré tout cela, avec l'objection de Juan : dans le monde politique dans lequel nous vivons, les faits et la raison n'ont pas malheureusement le poids qu'ils méritent. Ils sont nécessaires, mais ils ne suffisent pas. Les sondages du Très Grand Homme (TGH) sont en légère baisse, mais il arrive, encore, à courir plus vite que les faits, du moins dans l'oeil des médias et du grand public. Un jour, sûrement, les faits le rattrapperont. Mais en attendant, la force de la personnalité du Président -- et je veux dire par là sa personnalité publique, médiatique et politique, on s'en fout à peu près de sa vraie personnalité intime --, la perception publique de sa personnalité continue à être pour lui une arme ou un levier politique. Le voyage au Tchad était une préparation aux conflits sociaux ; si l'on aime déjà Sarkozy, on lui pardonnera sa dureté dans les conflits, on lui donnera raison contre les syndicats.

Du coup, il devient nécessaire de proposer d'autres interprétations de la personnalité du TGH. C'est ce que je faisais, rapidement et sans réfléchir, en l'imaginant au supermarché. C'est ce que faisait Raphaël Anglade quand il décrivait Sarkozy comme un président qui se couche chaque fois qu'il rencontre une quelconque résistance. Une image qui est aux antipodes de l'image populaire de Sarkozy, parfois même chez ceux qui ne l'aiment pas (je ne parle pas de la blogosphère, là, bien évidemment), et une image qui pourrait s'avérer destructrice pour Sarkozy, tellement la construction de sa personnalité politique est basée sur l'image d'un homme fort et ferme. Une image qui a aussi le mérite d'être vraie. D'où, bien sûr, sa puissance.

Donc, finalement, pas de désaccord, ni avec Juan, ni avec Vaclav Havel. Seulement, il me semble important d'admettre cette extension du domaine de la lutte pour inclure l'univers de l'image. Il est tout à fait possible que la réélection (ou pas) de Nicolas Sarkozy se jouera, dans l'inconscient populaire, dans sa façon se raconter son divorce d'avec Cécilia. Il ne l'a pas encore fait, mais il le fera. Et cela se jouera sur les pages glacées de Gala et de Voici. En s'opposant à Sarkozy, il est essentiel d'opposer à son image d'autres images de lui, moins flatteuses et, surtout, plus vraies.

7 novembre 2007

Sarkozy au supermarché

Nous connaissons l'image de Sarkozy le flambeur bling-bling, toujours prêt à lâcher quelque chose (genre centrale nucléaire et armements) pour appuyer son aura de puissance. Autrement dit, en se couchant devant l'adversité quand cela peut lui servir en termes d'image.

Je pense qu'il faut ajouter une autre image de Sarkozy : le père au supermarché qui engueule ses enfants, parfois violemment, parce qu'ils veulent des bonbons ou des jouets, mais qu'on voit, cinq minutes plus tard, en train de les rajouter dans le caddy.

6 novembre 2007

La radio de l'Etat

Je ne regarde pas la télé mais j'écoute assez souvent France Info, France Inter, et France Culture en voiture. Sur le plan politique, il y a bien sûr beaucoup d'entretiens très intéressants : Le Franc-parler et Le Rendez-vous des politiques notamment. Mais il y a des émissions franchement étonnantes, comme Là-bas si j'y suis de Daniel Mermet. Au moment de la lecture obligatoire de la lettre de Guy Môquet, l'émission a été très critique envers nos guainozystes.

Mais... les infos sur Radio France, aussi bien sur France Info que sur France Inter, se sont nettement sarkozysées. Je devrais toujours aller chercher les transcriptions quand c'est possible, mais souvent j'oublie. L'"analyse", ce matin, du voyage de notre Très Grand Homme (TGH) à Washington était tout à fait typique d'une approche qui est devenue systématique: l'"analyse" consiste à comprendre ce que Sarkzoy cherche à faire, en l'occurence s'installer, alors qu'il est en position de force et Bush en position de faiblesse, comme l'allié européen privilégié des USA. Mais tout est expliqué comme si la volonté de Sarkozy devait se traduire de façon quasi certaine en resultats concrets. Ceci peut donner une petite idée, si vous n'avez pas eu la chance d'écouter France Info ce matin.

Mais "ami ne veut pas dire rallié". Et s’il y a bien un rapprochement des positions des deux pays sur les principaux dossiers, ce serait une "erreur" de penser qu’il s’agit de "plaire aux Etats-Unis". "Le coeur de notre politique étrangère n’est pas la relation franco-américaine, mais de redonner à la France un rôle moteur dans la construction européenne", insiste-t-on à Paris

En somme, on répète la ligne de l'Elysée, sans essayer de comprendre les enjeux, sans essayer de voir si cela va marcher ou pas, quelles pourraient être les autres conséqunces.

Les "analyses" économiques que j'ai entendues récemment ont repris exactement la même méthode : "analyses" veut dire, en fait, simplement expliquer la ligne sarkozyzte, les réformes qui sont nécessaires, va-t-il pouvoir les faire, etc. Des experts en communication sont venus la semaine dernière pour parler du Grenelle. Ils tremblaient d'enthousiasme pour la manière dont Sarkozy a réussi sa communication. C'était magistral, il a surpris tout le monde.

J'ai eu néanmoins une petite émotion ce soir quand j'ai entendu les pêcheurs interpeller Sarkozy : "je ne peux pas m'augmenter de 140%, moi", Sarkozy qui s'énerve, "ce n'est pas vrai, vous le savez bien". C'était sur Inter, cet échange ne figure pas dans le reportage France Info, qui termine avec tous les pêcheurs en train de dire que Sarkozy a des "couilles au cul"... Même quand ça va mal, on trouve le moyen de détourner la discussion vers le style présidentiel.

4 novembre 2007

Ôtages?

Alors Sarkozy a remis les habits de Jack Bauer (ou bien ceux de Cécilia, mais ceux de Bauer risquent d'être plutôt à sa taille - Keiffer Sutherland n'est pas très grand), pour aller au Tchad chercher les hôtesses de l'air espagnoles et les journalistes français. Bien sûr, on ne peut qu'être soulagé de voir ces personnes innoncentes sorties d'affaire aussi rapidement. Et si c'était la première fois qu'un Sarkozy aurait effectué une telle mission, je serais bluffé. Sauf que... ce n'est pas la première fois et je ne suis donc pas bluffé, pas plus qu'une partie grandissante, petit à petit, de l'opinion.

Passée l'émotion des retrouvailles, il faudra poser à nouveau la question de des contreparties. Notre Très Grand Homme sera un peu plus tranquil cette fois, car il n'aura pas à se présenter devant une commission d'enquête de l'Assemblée, ouf!, à la différence de son ex-épouse. Lisez le billet de Luc Mandret pour avoir des idées de ce à quoi pourraient ressembler ces éventuelles contreparties. L'histoire risque d'être plus difficile à démêler cette fois, en l'absence d'un fils de dictateur bavard pour nous raconter les dessous de l'histoire. Mais justement dans ce brouillard, même s'il n'y avait pas de contrepartie du tout, même si Itno a lâché ces personnes juste pour être sympa avec la France, ce qui n'est pas tout à fait impossible, un doute planera au-dessus de cette affaire. Nous savons que le TGH n'est pas toujours irreprochable dans ces négotiations, alors qu'il faudrait l'être, justement.

Supposons, simple hypothèse pour l'instant, que Sarkozy ait bradé quelque chose au Tchad en échange de la libération des sept détenus. Ce ne serait qu'un exemple de plus de ces moments où, comme le dit très justement Raphaël Anglade, le Président "se couche". Mais Sarkozy ne lâche pas quelque chose d'important (une centrale nucléaire encore, des armes, une position diplomatique...) pour la France, mais pour sa propre position médiatique. C'est la République au service de la carrière politique et le trajet médiatique d'un seul homme. Mais ce sont tous les citoyens, toute la France, qui paient le prix. Tous ôtages de notre Président?

Récrivons la constitution!

Le rapport Balladur est sorti mais je n'ai pas encore mis le nez dedans. Les commentateurs commencent à commenter, et cela commence à être intéressant. J'espère pouvoir suivre tout cela.

Voici ma pensée du moment.

Libé publie un entretien avec Dominique Rousseau, "constitutionaliste", assez stimulant, qui parle beaucoup de la responsabilité socialiste dans la présidentialisation actuelle du régime, rendant à MM. Mitterrand et Jospin leur part de responsabilité, ni l'un ni n'ayant eu le courage d'entamer la nature présidentielle du pouvoir. Avec Mitterrand, on peut comprendre : il est difficile de diminuer son propre pouvoir, alors qu'avec Jospin, inventeur du quinquennat et de l'inversion du calendrier, qui n'était que Premier Ministre, il aurait était logique qu'il dé-présidentialise le système, plutôt que le contraire. Sauf qu'il se voyait déjà président, je suppose...

Bref, Dominique Rousseau reproche à la gauche le fait de n'avoir jamais rien fait pour promouvoir un régime parlementaire. De toute façon, depuis qu'on sort la IVe République à tout bout de champ, le parlementarisme a du plomb dans l'aile en France.

Restons donc dans l'hypothèse d'un régime véritablement présidentiel. Ce n'est pas mon souhait, mais puisque c'est à l'ordre du jour (déterminé par l'Elysée, bien sûr), il faut bien en parler. L'idée étant que, en reconnaissant au président son rôle de chef de gouvernement, on peut renforcer le rôle du parlément en conséquence, pour qu'il y ait un véritable contre-pouvoir institutionnel. C'est bien beau, mais dans les faits, c'est le plus pieux des voeux, puisque l'Assemblée risque d'être en permanence à la botte du président, élu en même temps qu'elle. Même si l'Assemblée actuelle pouvait définir son propre ordre du jour, pourrait-on parler d'un contre-pouvoir? A part l'amendement pour les tests ADN, on ne voit pas l'Assemblée "résister" beaucoup au Très Grand Homme (TGH).

C'est d'ailleurs l'une des remarques de Dominique Rousseau : il est très difficile en France de séparer l'executif de la législature. Surtout vu le comporement des partis politiques.

J'en viens donc à ma proposition. Mettant le pouvoir institutionnel fermement entre les mains du président, on garantit la stabilité des gouvernements. On peut alors rendre l'Assemblée plus volatile sans risque de voir s'éffondrer la République. Il suffit alors de la rendre plus réactive à la volonté du peuple en la faisant rélire plus souvent. Tous les trois ans, par exemple. Ou deux et demi.

Comme ça, au moins, la stabilité institutionnelle n'est pas menacée, mais le président doit prendre en compte la réalité politique d'élections rapprochées où les électeurs pourraient juger son action, avec risque de cohabitation si les choses vont mal.

3 novembre 2007

L'origine du régime présidentiel

Certains (via betapolitique) disent que «Le comité Balladur s’inscrit dans la logique du régime du prince président Napoléon III». Mais voici la vraie logique de la « réforme institutionnelle » souhaitée par notre Président, du moins pour ce qui concerne le droit d'aller parler à l'Assemblée:

2 novembre 2007

Sarkozy et The West Wing

Depuis les premiers jours après l'élection de notre Très Grand Homme (TGH), j'avais un sentiment, même pas encore un soupçon à vrai dire, mais l'idée, qui ne pouvait pas être tout à fait formulée, que Nicolas Sarkozy devait regarder la série américaine The West Wing, A la Maison Blanche en français, mais quand on est vraiment fan, comme moi, on le dit en anglais. Et puis, tout à fait par hasard, à propos de l'interview du Président chez 60 minutes, j'apprends (ici (en) et ici (fr)) que je partage avec Sarkozy cette admiration pour la série. Un point commun. Etrange.

Etrange, surtout, parce que, pour moi en tout cas, West Wing est, politiquement, tout le contraire du sarkozyzme, de tout ce qui touche, de près ou de loin, à notre Little Big Man à nous. Pour ceux qui ne connaissent pas bien la série, elle raconte les deux mandats d'un Président Bartlet, démocrate, prix Nobel en économie... l'opposé des néo-conservateurs que Sarkozy semble admirer par ailleurs. Bartlet est constamment frustré de ne pas pouvoir faire des mesures suffisamment à gauche, car le Congrès est contrôlé par les républicains. Presque chaque épisode est une illustration de la nécessité des compromises, souvent difficiles. Bref, c'est loin d'être le portrait de Monsieur Sarkozy. On n'imagine pas Bartlet en train de traiter publiquement sa Press Secretary d'"imbécile", par exemple.

Comment avais-je fait pour deviner que Sarkozy s'inspirait de cette émission pour construire sa présidence ? Plusieurs signes : les points presse à l'Elysée de Martinon (l'"imbécile") est peut-être le plus voyant, mais il y avait aussi l'augmentation du nombre de gardes-du-corps (la sécurité du Président est l'une des obsesssions dans West Wing), la création d'un Conseil National de Sécurité qui ressemblerait vaguement au National Security Council américain, et cette obsession avec l'idée de pouvoir s'adresser directement à l'Assemblée. Car, dans West Wing, le discours sur le State of the Nation est toujours l'un des grands moments de chaque saison. On voit toujours les hommes du président en train de se creuser pour fabriquer le discours, puis l'organisation matérielle du discours avec limousines, girophares des voitures de police, les applaudissements du Congrès devant le grand homme. Quelle autre raison pourrait-il y avoir pour pousser Sarkozy, depuis si longtemps, à parler devant l'Assemblée ?

Je me rends compte, en essayant d'imaginer ce que voit Nicolas Sarkozy quand il visionne le West Wing, que la série pourrait l'exciter, malgré son orientation à gauche. L'un des grands thèmes est l'énorme responsabilité du Président et de ceux qui travaillent pour lui, responsabilité qui fait qu'ils sont prêts à tout sacrifier : santé, vie privée, sommeil, carrière. Les hommes et femmes de Bartlet se surpassent constamment parce qu'ils croient si fermement en leur devoir. Et l'origine de ce devoir, c'est l'immense pouvoir du Président. Avec le pouvoir, on a des devoirs. Donc quand la série insiste sur le pouvoir et le prestige du président, c'est toujours pour mettre en balance les sacrifices de ceux qui incarnent et entourent le pouvoir. Mais il est tout à fait possible d'ignorer ces subtilités, et de n'y voir que le clinquant et les signes extérieur de ce qui fait un grand homme.

(PS: je n'ai pas encore vu la 7e saison, ne me dites rien là-dessus, s'il vous plaît!)

1 novembre 2007

Nationalisme creux

L'épisode Guy Môquet, avec en arrière plan les tests ADN pour les candidats au regroupement familial, a cristallisé beaucoup de ce qu'il y a de détestable et délétère dans le sarkozysme. Il a, en même temps, montré l'une des limites du système de communication sarkozyzte, car, pour la première fois, de nombreuses personnes ont osé dire qu'ils n'étaient pas d'accord pour être manipulées ainsi. Le sarkozyzme n'aime pas que ses opposants soient visibles ou audibles, et de ce point de vue l'exercice était un échec pour le Pouvoir, comme je le disais l'autre jour.

L'utilisation UMPiste de Guy Môquet nous vient directement du cerveau de Henri Guaino, et c'est lui qui s'est montré le plus indigné par les réticences des enseignants à qui Nicolas Sarkozy avait confié la tâche d'instaurer une identité nationale tout en larmes et paillettes. Du coup, Guaino a parlé de l'identité nationale et du nationalisme, ce qui nous donne l'occasion d'y revenir.

Commençons par sa sortie la plus bêtement emblématique :

« Cela amène à s'interroger sur ce que doivent être les devoirs d'un professeur dont la nation a payé des études, dont la nation paie le salaire et auquel la nation confie ses enfants», avait avancé Henri Guaino.

Ce serait donc la Nation qui aurait payé les études des professeurs, qui payerait leurs salaires ? Voilà une confusion qui passe très bien, qui ressemble suffisamment à du bon sens pour tromper pas mal de monde. La Nation, au sens des nationalistes ne paie ni études, ni salaires, car c'est une abstraction qui s'oppose à d'autres manières d'organiser, d'imaginer et de symboliser la collectivité. La Nation ne sait pas comment écrire des chèques. Dire que les enseignants, ou quiconque aurait bénéficier de l'enseignement supérieur, ou même de la maternelle, soyons rigoureux, ont une sorte de dette envers la Nation, ou plutôt, envers la cause nationaliste, c'est franchement se foutre du monde.

Pourquoi parler, en effet, de Nation ? On peut aussi regarder à gauche pour trouver une réponse. Je pense vaguement aux chévénementistes, mais aussi à cet article de Raphaël Anglade, paru il y a quelques semaines sur Betapolitique : Les socialistes ont-ils perdu la Nation? L'idée n'est pas neuve, mais l'article a au moins le mérite de poser la question clairement:

Pendant tout le XIXe Siècle, la revendication nationale, dans toute l'Europe, est un combat d'émancipation. Un combat de gauche, une lutte contre la vision patrimoniale, monarchiste, réactionnaire du pouvoir et du fait politique. En fait, derrière la Nation se cachent deux combats essentiels :

  • l'instauration de la citoyenneté,
  • et la construction d'une manière d'être ensemble conventionnelle, culturelle, (la Nation, ethnicité fictive, disait Vidal Naquet, me semble-t-il) et par là même non biologique.

On pourrait se féliciter de cette « ethnicité fictive » et de son caractère « non biologique », s'il n'y avait pas des gens comme l'ignoble Brice Hortefeux pour ramener la Nation à une ethnicité bien biologique. De ce point de vue, on comprend bien, il est vrai, la signification nationaliste de la biologie de Thierry Mariani et ses amis.

Mais surtout, on comprend qu'au XIXe siècle, la Nation, avec sa majuscule, pouvait bien être de gauche, puisqu'il s'agissait d'asseoir la légitimité politique du peuple, devenu propriétaire en quelque sorte de son pays. Faut-il alors regretter, comme Raphaël Anglade, la perte, par la gauche, de la Nation en tant que thème? Faut-il que la gauche se dote d'une réponse nationale au Front National?

Aujourd'hui fragile dans son rapport à la Nation, la gauche manque de balises face aux provocations d'extrême droite, aux turpitudes sarkozystes, à la question européenne... et même au mondial de Rugby !

Je l'ai déjà dit ici, la plus grande erreur politique de Ségolène Royal pendant la campagne était sa dérive chévénementiste, surtout avec la fierté des drapeaux. Et c'est là où l'on revient à Henri Guaino et à la lettre de Guy Môquet.

Heureusement, notre célèbre plume Nationale a le mérite de s'expliquer clairement là-dessus:

Dans un pays où elle s'impose avec évidence, la nation n'est pas un sujet politique. Lors de l'élection de 1974, les Français ne s'intéressaient pas à ce que racontaient Malraux et les gaullistes sur la nation et la résistance. Mais aujourd'hui, avec l'immigration, la mondialisation, la désintégration du travail, il y a un problème identitaire. La nation est redevenue un sujet fondamental de la politique.

Voilà, le problème identitaire. Car, que la Nation soit définie sur des critères ethno-biologique, ou sur des critères simplement culturels, voire, comme on dit souvent, républicains (et je pense à cette épreuve de "citoyenneté" que les futurs candidats à l'immigration vont devoir subir), il reste que la Nation définit un nous qui est à opposer à un eux, que ce soit des immigrés venus nous piquer nos boulots et nos allocations (dans la version FN de ce mythe), ou même les plombiers polonais venus réparer nos lavabos.

En rugby, il n'y a pas trop de problèmes avec une telle opposition, car quand ce n'est pas la France contre l'Argentine, c'est Toulouse contre Perpignan. La distinction entre les camps est intégrer dans le symbolique du sport.

Le problème, à l'heure des fléaux que cite Guaino, "l'immigration, la mondialisation, la désintégration du travail", c'est que le seul nationalisme que ces êtres inspirés arrivent à définir, c'est un nationalisme complètement vidé de sens, un nationalisme purement autoréférentiel. La lettre de Guy Môquet n'est pas, bien sûr, vide de sens, ni lorsqu'il l'a écrite, ni aujourd'hui. Évidemment. Mais le sens de la lettre est simplement celui du sacrifice et du courage. Le choix de cette lettre par Guaino et Sarkozy est surtout significatif, car il s'agit d'un texte dépourvu de signification politique. Dans l'utilisation que l'Etat-UMP cherche à en faire aujourd'hui, seule compte l'émotion de la lettre. Et je renvoie aux excellents analyses d'Eric Fassin (ici et ici) de l'instrumentalisation de l'émotion chez Sarkozy.

Si il y une leçon dans cette histoire de Guy Môquet, c'est qu'aujourd'hui le nationalisme, que ce soit avec les drapeaux, le sport ou les commémorations, ne peut que conduire à quelque chose de vide, et, je dirais, fondamentalement réactionnaire. Deux bonnes raisons pour la gauche d'éviter de rivaliser avec les sarkozystes et le Front National sur ce terrain qui conduit inévitablement à une insincérité que la gauche doit éviter.