Tour d’horizon des publications politiques aujourd’hui, l’article de Sylvain Bourmeau dans les Inrockuptibles « Un tout petit pays » va très clairement à ce qui me semble l’essentiel rappelant par là-même que c’est ce même mensuel qui avait donné un nom à la « guerre contre l’intelligence « : la victoire de Sarkozy est le résultat d’une longue évolution, d’une « révolution culturelle souterraine » qui a commencé il y a vingt ans. 86, année des privatisations, de la création de M6, des fils de la pub...et justement du livre de Ferry-Renaut, La pensée 68. 1986 et non 1968 est la date référence, celle qui détermine les valeurs de droite d’une majeure partie de la France comme le prouvent les données du Centre d’études de la vie politique française citées dans l’article. Ce sentiment de rage qui prend parfois au ventre à écouter certaines déclarations de l’ex-président de l’UMP tient alors bien à une manipulation éhontée et qui fonctionne: faire passer pour actuelle une idéologie connue de tous parce que déjà entrée dans l’espace public des discours et des stéréotypes et prôner ainsi la rupture et la mise en place de nouvelles valeurs qui ne sont autres que les valeurs en cours et qui bénéficient ainsi de deux atouts:
on ne s’aperçoit pas qu’elles sont nouvelles parce que 20 ans, ce n’est pas assez pour prendre de la distance
dans le mesure où l’on baigne dedans, elle nous sont inconsciemment familières donc sympathiques
La rhétorique sarkozy n’est même pas une rhétorique politique, elle est celle de la communication individualiste en général, de la défense de soi par la mauvaise foi et du renversement fictif des rôles – « tu permets que je parle » étant, chacun le sait, non la demande justifiée d'accès à la parole mais l’ordre intimé à l’autre, jusque là pourtant déjà réduit au silence, de continuer à se taire -- dont on a tous fait l’expérience dans sa vie privée. S’en servir brillamment sur la scène publique et au service du discours politique, c’est être sûr d’être compris. Si Segolène Royal a montré une autre voie au discours politique dans le débat du 2 mai, je crois que Sarkozy n’est pas en reste, car nous n’étions jamais allés aussi loin dans la démagogie verbale, c’est-à-dire dans un usage du langage qui ne s’interdit aucun des recours aux mauvaises tendances de l’homme.
Autre sujet d’étonnement: si le retour à l’ordre et les événements de l’Algérie qui ont suivi la Libération de 1945 et l’avènement de la Ve république étaient vivement et brillamment contestés par des Edgar Morin, Dionys Mascolo ou Robert Antelme, que dire aujourd’hui alors que la Ve république va fêter ses 50 ans? Ne faut-il compter que sur Marie Darrieussecq (ou à peu près), dont je salue l’engagement, pour mettre les mots et l’expérience de la pensée critique au service de la défense de ses idées?
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