Un moment que l’idée me trotte dans la tête, que l’agacement, la petite gêne insistante à la lecture d’un magazine dont je fréquente régulièrement les pages depuis des années viennent chatouiller le désir de leur donner lieu d’expression. Oui, depuis la dernière campagne présidentielle, l’hebdomadaire Elle n’est insidieusement plus tout à fait le même, pour ceux ou celles que l’antipathie pour l’élu de la droite rend un peu plus sensibles que d’autres à la question. Après avoir, avant les primaires du PS, chanté un peu fort les louanges de Ségolène Royal, quelque chose s’est passé, difficile à cerner, dans le choix des sujets, les mots, le ton, le refus même de s’engager pour une femme et pour des idées sociales et humanitaires que le magazine a toujours eu – du moins le croit-on – pour mission de défendre. Depuis l’automne dernier, le duel Sarko-Sego est pourtant omniprésent dans les pages de Elle, cuisiné à des sauces variées selon les rubriques, Psycho (de la psycho-couple au jeu du test), Enquête, Humour, plusieurs éditoriaux, drôles ou sérieux, au point de fatiguer, ce dont le journal lui-même prend acte sous la plume d’Alix Girod de l’Ain pour s’en amuser d’un « je persiste et signe » blagueur.
Le journal n’a pas vocation politique et on ne lui contestera pas le droit de traiter le sujet avec une liberté absolue et de toutes les manières qu’il le souhaite. Seulement voilà, la liberté ne paraît pas si grande. Et le détachement si complet. La tendance à ramener les éditoriaux à de plaisantes platitudes décrivant (par exemple), selon un stéréotype bien installé, l’affrontement idéologique comme un sport où le meilleur l’emportera, l’absence, dans les dernières semaines, de prise de position véritable (ne serait-ce que sous couvert d’un « c’est mon opinion ») en faveur de la candidate, alors qu’il paraît difficile de croire qu’aucun membre de l’équipe de rédaction n’ait eu cette vocation ou ce désir (est-ce possible?), tout ceci est étrange. Elle n’est pas un lieu pour l’engagement? Il l’a été en d’autres occasions à de nombreuses reprises. Pas dans le débat pour l’élection à la présidence de la République française? Mais pour quelles raisons ce sujet seul recommanderait-il la discrétion? J’ai pu, c’est possible, manquer telle ou telle intervention dans tel ou tel numéro. En ce cas, j’aimerais qu’on me le signale pour me soulager d’un (petit?) poids. Il est vrai, certes, qu’aucune déclaration objective ne prête allégeance au leader de la droite au détriment de la représentante de la gauche. Pourtant, la complaisance à parler de Sarkozy est incontestable et son triomphe – puisque c’est en ces termes héroïques qu’il convient de parler de la présidence et de son prématuré succès d’estime – lui laisse définitivement une place que les semaines électorales– objectivité oblige – le contraignait à partager. Même s’il ne s’agissait que de tenir son rang dans le mouvement général des magazines à grand tirage dits populaires et bien oui, je le redis, Elle a changé.
Parcourant ce matin les premières pages du numéro de la semaine, la dernière paille – « the last straw » comme disent les anglophones – vient cette fois piquer plus que chatouiller le dos du chameau et me pousser à saisir mon clavier. Une paille, je dis, mais bien visible: quatre pages dans les pages d’info de l’hebdo composées habituellement de flash tendances et micro-actu pêle-mêle, quatre grandes pages suivies sur le style de Cecilia. Certes Elle, c’est la mode, les femmes, les vêtements. Mais quatre pages, alors que Ségolène Royal n’avait eu droit qu’à une malheureuse page chargée de décrypter « objectivement » une tenue, soin confié d’ailleurs, comme c’est bizarre, à l'une des journalistes auteurs de Femme Fatale, dont les éloges furent on ne peut plus mesurés. Il est vrai qu’il ne s’agissait pas de la « première dame de France ». Les pages consacrées à la femme du président, elles, sont résolument celles de zélatrices. Reprenant la mise en page habituellement réservée aux actrices et top models, celle de l’histoire d’un look au fil de photos choisies, Cecilia y est présentée comme la reine de la fidélité... à ses classiques et à sa coupe au carré (sans ironie aucune, et que la coupe soit visiblement très différente d’une photo à l’autre, sauf à n’avoir qu’une idée très vague de ce qu’est « une coupe », ne perturbe aucunement l’auteur de l’article, peu importe ce qu’on voit, seul importe ce qu’on dit), comme une élégante en pantalon, « l'anti-Ségo », qui « fait voir la vie autrement », comme « la victoire du cœur sur les carats ». De Jackie Kennedy, dont les photographies en regard ornent l’une des pages, (comparaison déjà devenue poncif et que le magazine ne se soucie même pas de renouveler), à la princesse des coeurs, on reste stupéfait devant tant d’enthousiasme et de lyrisme à un sou sans second degré lisible. Ou de vue basse. Allez, mauvaise langue (on n’est pas lectrice de Elle pour rien), on se console en se disant que si l’on cherchait la paille, c’est bien la poutre qui se trouvait dans l’oeil de nos chère rédactrices en cette fin de mai. Car elle fait pâle figure Cecilia à côté de Jackie O. On en rirait presque tant le contraste est flagrant. Ce n’est pas grave, direz-vous, rien de très consistant. Non, mais, il n’est pas de détail anodin dans cette orchestration des images et ce trafic de formules innocentes par les media les plus en vue. Je fais confiance à mon malaise. Et pour adopter la rhétorique politique à la mode, celle du bon sens près de chez vous, je dirai pour terminer cette histoire, qu’il n’y a jamais de fumée sans feu....de paille ou de poutre.
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