21 mai 2007

Point presse

Les relations entre notre nouveau Leader Numéro One et la presse font déjà beaucoup de bruit, et c'est tant mieux. J'ai déjà parlé de l'episode de Cecilia l'abstentioniste, qui sera emblématique de la situation, car il a permis une narration où l'Argent (joué par Arnaud Lagardère) décroche vraiment son téléphone.

Un autre épisode, qui a fait un moins de bruit est raconté par Rue89. Selon cette information, la chaîne LCI (c'est-à-dire TF1) aurait annulé sa collaboration avec Le Monde sur l'émission, Le Monde des idées, à cause d'un papier dans le journal rapportant les propos anonyme d'un sarkozyste quittant les studios d'Europe 1 :

'Je file à LCI', lance dans les couloirs l'un des invités. 'Je fais les deux annexes de l'UMP.
Et Guy Birenbaum a quelques informations supplémentaires qui exposent un peu plus les ficelles.

Et depuis quelques jours, on parle beaucoup des nominations des journalistes Cathérine Pégard du Point à l'Elysée et Myriam Lévy du Figaro à Matignon. Connaissant les orientations politiques de ses deux publications, on ne peut pas être véritablement surpris, même si l'esprit d'ouverture de Nicolas Sarkozy aurait dû évidemment le conduire à débaucher plutôt des journalistes chez Libé ou L'Huma.

Dans son numéro du 19 mai, Le Monde consacre à la question un assez long article. Je me suis dit, "Ah, enfin un mot critique sur le copinage entre le pouvoir et les médias." Les trois vaillants journalistes, Guillaume Fraissard, Sylvie Kervel et Daniel Psenny, vont même jusqu'à citer la réaction du blogosphère, dont ils disent que c'est là où l'on trouve les réactions les plus sévères. Cependant, ils ne fréquent pas la même "blogosphère" que moi, apparamment, car ils ne citent qu'une réaction assez tiède sur un forum du Point, et un autre, défendant les journalistes portant désormais les couleurs de l'UMP, sur le site du Monde. Je cite, tellement c'est tiède et à côté de la plaque:

Un président conseillé par des journalistes, c'est logique. Car, depuis quelques années, on a constaté qu'il y avait un microcosme politique-affaires-média et il est naturel que des circulent d'une place à l'autre dans ce petit cercle.
Je rêve. Les dominés (de l'information) se félicitant de l'imbrication des médias et du pouvoir.

Mais il n'y a pas que les participants aux forums du Monde pour défendre les consoeurs sarkoziennes. L'article n'a d'autre but que d'excuser Pégard et Lévy en citant tous ceux qui sont passés du journalisme au pouvoir depuis des décénnies. En somme, c'est normal que quelqu'un qui suit la politique décide d'en faire. Dans un entretien avec le sociologue Jean-Marie Charron, on apprend que cela date de la Révolution française, et que Jaurès a fondé L'Humanité (dont l'objectivité journalistique n'a jamais une seule fois était questionnée, comme on sait), alors qu'il était député.

Circulez, il n'y a rien à voir ! C'est décevant, vu que le journal a pris la peine de traiter cette histoire, qu'il n'ait cherché qu'à l'enterrer. Qu'il y ait eu, "depuis la Révolution française", des passages entre la presse et le pouvoir n'excuse pas ce genre de connivence. La question n'est pas de savoir si les journalistes font des bons hommes-ou-femmes politiques, mais de savoir ce qu'on écrit lorsqu'on travaille pour le Point ou le Figaro, ou chez LCI, ou Europe 1, et que, dans quelques mois on va passer de l'autre côté. L'article du Monde énonce, comme si c'était la chose la plus naturelle du monde : "A force de suivre au polus près les politiques, des journalistes finissent par épouser leurs idées", mais ne se demande pas, incroyablement je trouve, quelle influence cela exerce sur leurs productions journalistiques. Ce n'est malheureusement pas si étonnant, car typique de la résistance très molle, voire la passivité du journal devant les excès sarkozistes.

Car le problème au fond n'est pas que deux journalistes politiques décident d'entrer dans la bataille. Elles font ce qu'elles veulent, après tout. Mais pour chaque Catherine Pégard et chaque Myriam Lévy, qui franchissent carrément la séparation entre presse et pouvoir, combien y a-t-il de journalistes semblables qui ne sont pas tout à fait aussi bien connectés, ou qui pour diverses raisons décident de maintenir ce qu'on doit finir par appeler leur "couverture" journalistique.

Comme pour Cécilia, Lagardère et le JDD, cette histoire n'est que le signe d'un problème sous-jacent beaucoup plus difficile à cerner, à monter en épingle. L'influence du pouvoir et de l'argent sur les médias est d'habitude plus souterraine, et donc plus dangeureuse. C'est pour cela qu'il faut une autre sorte de vigilance, comme dans le compte-rendu télévisuel que nous donne Sauce. Il n'y a rien de véritablement repréhensible dans aucun acte ou parole précis, mais la somme des orientations et présupposés finit pas donner au terrain de jeu une pente artificielle et néfaste.

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