Tandis qu'à droite Chirac prenait le petit poussin Sarkozy sous son aile pour lui montrer comment se tenir quand on est président ("allez, c'est pas mal, mais il faut te détendre un peu, tu te forces un peu trop... t'inquiète, ça viendra"), les plumes de gauche se sont donné pour but de démolir le ségolénisme, regrettant justement que ce ne soit pas du ségo-leninisme.
J'en ai déjà parlé hier, mais avec quelques heures de plus l'attaque devient plus sérieuse. Moins de terreur devant les jupons et plus de politique. Le machisme d'hier évacué, on a pu commencer à parler politique. Un petit consensus semble être en train de se faire, selon lequel la faute de Ségolène Royal (oui, je sais : faute encore, en ne s'en sort pas avec ces histoires de bonne-femme), aurait été de n'avoir pas respecté les valeurs un socialisme traditionnel, laissant ainsi échapper le vote populaire. C'était plus ou moins la thèse de Michel Onfray hier, avec sa nostalgie pour un socialisme d'avant 1983 et la naissance de la "schizophrénie" mitterrandienne. Aujourd'hui, toujours dans Libé, Emmanuel Todd, dans un entretien, met les points sur les i, chiffres à l'appui.
Todd fait plusieurs remarques intéressantes, particulièrement sur l'apport des voix FN à Sarkozy. Hier Le Vaillant disait que quitte à perdre, il préférerait perdre avec DSK ou Fabius plutôt qu'avec Royal. Todd pense même ("sans pouvoir le démontrer" bien sûr) que DSK ou Fabius auraient pu gagner. Si le bon sens du moment veut que DSK êut été mieux placé pour le rapprochement avec le centre, étant lui-même pré-sélectionné pour être le premier ministre de François Bayrou, Todd rejoint un nouveau bon-sens-du-moment selon lequel Royal n'était pas assez à gauche. Car si Fabius pouvait battre Sarkozy, d'après Todd, c'est qu'il aurait pu dégainer sur le pouvoir d'achat. La faute de Royal était d'avoir abandonné l'économique pour les considérations identitaires.
Sans pouvoir le démontrer, je pense que Dominique Strauss-Kahn ou Laurent Fabius auraient pu gagner, parce que l'un et l'autre, chacun à sa façon, auraient ramené le débat sur le pouvoir d'achat. Face à la thématique identitaire, la gauche n'a en effet qu'une seule réponse possible : l'économie. Or, avec l'aide de Jean-Pierre Chevènement, Ségolène Royal s'est déplacée à son tour sur le registre identitaire. Cela est apparu comme une légitimation du discours sarkozyste.
Je suis assez d'accord que l'influence chevènementielle n'était pas stratégique, et a sans doute non seulement validé les discours de Sarkozy, mais lui a facilité largement son excursion chez l'extrême droite. Mais ce qui est contestable, c'est l'idée que la gauche doit rester toujours sur le terrain économique, et qu'en plus, sur ce terrain, elle serait imbattable. Avec le pouvoir d'achat, on dégomme Sarko.
Le grand mérite de la campagne de Ségolène Royal, c'est d'avoir tenté d'occuper le domaine symbolique et politique autrement que par l'économique. On voit maintenant que c'était un peu brouillon, car ces choses là ne s'inventent pas du jour au lendemain, même si ce ne sont que des mots. Jusqu'à la semaine dernière on la félicitait d'avoir réussi à moderniser le PS en quelques mois. C'est là une partie essentielle de sa modernisation.
Tout d'abord, la faiblesse de cette approche est face à une logique sarkozienne du genre "le travail crée le travail". Même les "prolétaires" savent aujourd'hui que la croissance économique leur sera bénéfique. Quand on voit comment les publicités des centres Leclerc utilisent une iconographie et un vocabulaire contestataires en affichant leur "lutte" contre les prix, il est évident que la seule notion de pouvoir d'achat ne suffit pas pour ancrer une politique à gauche.
Mais plus profondément, c'est une erreur monumentale que de croire que les électeurs sont autant de sujets rationnels votant uniquement en fonction de leur propre intérêt économique. Justement, les cousins FN des électeurs populaires que la Royal centriste n'a pas su garder (pas plus, en 2002, que Jospin ou même le trop bo-bo Robert Hue -- sous l'influence de Beigbedder -- d'ailleurs) ne votent pas selon leur intérêt économique, mais plutôt contre lui, car ils sont pris dans un symbolisme raciste et nationaliste qui leur semble plus important que leur intérêt immédiat. Une élection présidentielle est l'occasion d'une grande redéfinition de la République, ou, avec Sarkozy, la Nation. Des orientations du discours qui ne coûtent pas une centime (genre "rien à se reprocher pour le colonialisme") peuvent néanmoins être décisives.
L'erreur stratégique était de vouloir suivre le FN et l'UMP sur ce terrain, comme si c'était le seul domaine de symboles possible. Il est urgent de développer d'autres valeurs qui permettent d'identifier la gauche comme étant une gauche véritable.
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