Depuis une semaine ou deux, j'ai envie de refaire le point sur ma
position vis-à-vis de Ségolène Royal. Aujourd'hui elle est revenue
sur le devant de la scène, alors je me lance.
Certains de mes amis considèrent que je suis un inconditionnel de
Ségolène Royal, un ségoléniste pur jus, peut-être même amoureux. Ils
se trompent, bien sûr, même si je continue à soutenir l'ex- et
future candidate. Pourquoi ? La réponse courte, c'est que, dans
l'écurie PS, elle est la seule à avoir repensé la
communication politique de gauche. Ce n'est pas pour moi une
question de positionnement plus ou moins près du centre, ou même de
sociale-démocratie. Les guerres politiques, à l'ère des inondations
médiatiques permanentes, de l'image tout puissante, de la
peoplisation universelle, les guerres politiques ne sont plus des
guerres de position, mais de mouvement, si je puis me permettre la
métaphore. Il ne suffit pas de trouver une position d'équilibre
entre la gauche et le centre pour voir affluer les électeurs, qui
sont, et on ne le dit pas assez, politiquement déboussolés, et qui
ont perdu, pour la plupart, toute conscience de classe.
Sarkozy a battu Royal grâce à un programme finalement très flou. Les
ambiguïtés de son programme lui permettait justement d'occuper
plusieurs positions contradictoires dans la gamme politique,
notamment en récupérant les voix du FN et même temps que la moitié
des électeurs de Bayrou. Depuis, le Très Grand Homme (TGH) a fait la
démonstration de sa capacité à être partout: «médiatiquement»,
politiquement, idéologiquement.
Le jeu politique est désormais ainsi fait. La nostalgie ne sert à
rien. Et c'est mon avis que Ségolène Royal est, pour l'instant,
l'unique personne, à gauche, à comprendre les nouvelles règles de la
lutte médiatico-politique. Certes, de ce point de vue, elle est
moins bonne que Sarkozy, qui est lancé dans une échappée de cinq ou
dix ans, tel un coureur carburant à l'EPO tandis que ses rivaux sont
restés encore avec des stimulants homéopathiques et des remèdes de
grand'mère.
Pourtant, me direz-vous, nous n'avons pas retenu l'image d'une
Ségolène Royal maîtresse de sa représentation dans les médias, mais
plutôt celle de Ségo-la-gaffe. Effectivement, trouver de nouvelles
bases à un discours politique de gauche n'est pas quelque chose qui
s'invente en l'espace de quelques mois. Cinq ans suffiront-ils ? Je
n'en sais rien. Le plus souvent, les problèmes de communication
étaient liés à ses relations difficiles avec le parti, et, plus
profondément, avec la tradition idéologique du parti. Il est déjà
difficile d'inventer une nouvelle approche de la politique censée
plaire un public plus large que les 29% du PS, puis de la vendre aux
électeurs, sans avoir en plus à la justifier contre son propre
parti. On peut comprendre, d'ailleurs, le désarroi des cadres du PS
qui devaient soutenir un Pacte Présidentiel qui tranchait beaucoup
avec les traditions, et dans lesquels ils avaient du mal à se
reconnaître. Il me semble, cependant, que la cause de ce décalage
n'était pas que la position de la candidate était trop à droite,
trop proche du centre. Le texte même du Pacte est, dans l'ensemble,
très à gauche. Je me souviens de l'avoir défendu contre des
amis qui le trouvaient trop à gauche, alors que plus tard ils
trouvaient que Ségolène Royal était trop à droite...
Hormis les rivalités de personne, qui ont bien sûr fait leurs
dégâts, la cause du malaise idéologique est plus dans le
style de la candidate et de ses propositions que dans leur
contenu. (A quelques exceptions près, sur lesquels je reviendrai.)
Pourtant, cette question du style est tout sauf superficielle, elle
est au coeur du problème. Le style, c'est la femme... Quand
j'entends Laurent Fabius parler encore du rôle du capital dans la
société, je me prends la tête des deux mains : ce vocabulaire ne
convainc plus que ceux qui sont déjà convaincus, qui ont
déjà une vision du monde dans lequel "le capital" signifie
quelque chose. Ce qui ne veut pas dire que Fabius a tort dans son
analyse. A la rigueur, je suis d'accord, sauf qu'il faut aussi
prendre en compte l'internationalisation de l'économie, ce que Marx
n'avait pas eu besoin d'aborder. Sarkozy est en train de remettre au
goût du jour la lutte des travailleurs contre le capital. Mais
est-ce qu'il dit «nous allons prendre de l'argent chez les
pauvres, en les précarisant, pour le donner aux riches» ? Non, il
ne le dit pas. Ce ne serait pas efficace.
Pour en venir aux points forts et faibles de la campagne, je pense
que le plus gros échec était sans doute possible la démocratie
parcipitative. Et pourtant, ce thème aurait dû être porteur
: après 12 ans du cynisme politique de Chirac, adepte du dos rond en
toute circonstance, ignorant défaite électorale sur défaite
électorale, n'infléchissant jamais sa politique, bousillant le TCE,
et ainsi de suite, après tout cela l'idée d'impliquer davantage les
gens dans les décisions, d'être davantage à leur écoute, cela
aurait dû créer de la demande pour la démocratie
parcipitative. Et pourtant c'était un flop, et même pire qu'un flop,
puisque l'idée même d'une écoute à fini par nuire à l'image
autoritaire qu'il est nécessaire pour être vu comme
présidentiel. L'élection a montré, encore une fois, que les raisons
d'un vote sont le plus le fruit des différentes psychoses
collectives. Être à l'écoute, gouverner en réponse aux volontés du
peuple, toutes ces bonnes idées ont été retournées contre Royal, ont
diminué sa crédibilité et rendues floues bon nombre de ces
propositions.
Personnellement, je suis assez séduit par l'idée de la démocratie
parcipitative. Le problème, c'est de «vendre» l'idée.
Et la deuxième mauvaise idée de la campagne, c'était les tentatives
de ratrapper les thèmes identitaires. Non seulement les dérives
chevénementistes ont décrédibilisé la candidate auprès des électeurs
de gauche, mais, plus grave encore, en ayant l'air de suivre Sarkozy
sur ce terrain, mais en plus «soft», Ségolène Royal a permis à
Sarkozy d'aller pêcher les voix de l'extrême droite. Il faut
adresser le thème sécuritaire, car c'est une question qui concerne
en premier lieu l'électorat populaire, bien entendu. Cela devrait
être une question de gauche. Mais il faut trouver le moyen de
l'aborder sans avoir l'air d'imiter le discours autoritaire (et
inefficace en réalité, mais efficace en politique) de Sarkozy.
Bon, j'arrête ce billet-fleuve qui va devenir un discours de
politique générale si je ne m'arrête pas. Il y aura des occasions
de revenir sur ces questions, je crois...